Grossesse et vapotage : quand science et idéologie s’entremêlent

Le tabagisme durant la grossesse constitue un risque majeur et avéré pour le bon déroulement de la grossesse. Néanmoins, plus de la moitié (54,2%) des femmes fumeuses enceintes ne parviennent pas à arrêter la cigarette, au moins le temps de la grossesse. Cela porte au rang des enjeux premiers de santé publique la recherche de solutions viables au tabagisme pendant la grossesse. Pour réduire les risques, certaines femmes se tournent vers la vaporeuse, et sa nocivité générale bien moindre à celle de la cigarette. Ce choix du moindre mal est, sans aucun doute, une solution recommandable pour les femmes fumeuses qui attendent un enfant et qui ne parviennent pas à opérer un arrêt complet de toute source de nicotine. Cependant, des résistances, plus idéologiques que scientifiques, poussent certains organismes publics à soutenir le contraire.

La nécessité avérée de l’arrêt du tabac pour les femmes enceintes

Si à l’échelle globale, les femmes fument bien moins que les hommes (1), le tabagisme chez la femme enceinte a une conséquence sanitaire supplémentaire et particulièrement dangereuse, en impactant le bon développement de l’enfant à venir. Comme le relève un dossier très complet publié sur le site de Sovape, qui fait un tour d’horizon assez complet des études sur le sujet, le tabagisme durant la grossesse augmente significativement les risques de fausse couche, de naissance prématurée et de mort subite du nourrisson (2).

Au même titre que d’alcool, la femme enceinte doit ainsi parvenir à se priver de cigarettes durant neuf mois. Cet impératif est sanitaire, mais aussi social. Il est fréquent, du moins en France, qu’une personne tierce au couple s’exprime sur ce que doit ou ne doit pas faire la future maman, faisant peser sur ces épaules une pression sociale considérable durant la grossesse : « Tu ne devrais pas fumer ». Cette culpabilisation pourrait, selon certaines études, avoir l’effet pervers de pousser les femmes à fumer en cachette (3). Mise face à la nécessité d’arrêter du jour au lendemain la cigarette, la femme enceinte s’expose à un risque d’échec considérable, et dans la tentative d’arrêter, à des effets psychologiques et physiologiques.

Grossesse et vapotage : un état de la science encourageant

Arrêter le tabac lorsque la dépendance est profondément installée est particulièrement difficile. En cas de sevrage « sec », c’est-à-dire, du jour au lendemain, le taux de reprise au bout de six mois est d’environ 95% (4) ! Les solutions médicamenteuses, si elles sont plus efficaces, ne sont pas recommandées pour la femme enceinte. C’est pourquoi de nombreuses femmes se tournent vers la vape durant leur grossesse.

De manière générale, le consensus qui se dessine peu à peu sur l’intérêt thérapeutique de la vapoteuse dans le sevrage tabagique est très encourageant. Elle aurait un potentiel dans l’arrêt du tabac près de deux fois supérieur à celui des autres substituts nicotiniques. En outre, les autorités de santé britanniques, parmi lesquelles figurent les prestigieux Public Health England et Royal College of Physicians, estiment que la vape est environ 95% moins nocive pour la santé générale que la cigarette (5). Il est donc, a priori, sensé d’orienter les femmes enceintes qui ne parviennent pas à arrêter de fumer vers la vaporeuse.

Les résultats spécifiques relatifs à l’utilisation de la vapoteuse durant la grossesse sont tout aussi positifs, même s’ils sont pour l’instant moins établis. Une étude empirique menée par le Stop Smoking Service de Leicester a démontré que sur un groupe de 228 femmes enceintes fumeuses ayant tenté de substituer la vape au tabagisme, 60% sont parvenues à arrêter complètement la cigarette. Les chercheurs en concluent que « le vapotage peut être une aide efficace [au sevrage de la femme enceinte] en étant associé à un soutien comportemental » (6).

Faut-il recommander la vape aux femmes enceintes fumeuses ?

Devant ces résultats probants, le Collège Royal des sages-femmes britanniques choisit de soutenir les femmes enceintes fumeuses qui se tournent vers la vapoteuse, au regard de la toxicité bien moindre de cette habitude sur la santé de la mère et du fœtus (7). Les autorités françaises prennent, à ce sujet, des positions plus contrastées. C’est ainsi que la Société Francophone de Tabacologie (SFT) a, dans un premier temps, rappelé que la vape est déconseillée aux seuls non-fumeurs et, plus récemment, déconseillé aux femmes enceintes de commencer ou de poursuivre la vaporeuse durant la grossesse (8).

Femme enceinte

D’autres acteurs y sont, eux, fondamentalement hostiles. Une part importante des collectifs et des associations de lutte contre le tabac ont également la vape en ligne de mire, comme l’ont montré de nombreuses affaires médiatiques récentes, à l’image des lettres adressées aux dirigeants de certains GAFAM pour le retrait des applications en rapport avec la vapoteuse. Spécifiquement, certaines organisations refusent de prôner une politique de réduction des risques pour les femmes enceintes, en étant partisan d’une abstinence totale et sans compromis de nicotine durant la grossesse (9).

Un seul état de la science, mais deux visions du monde en opposition

Comme pour la plupart des débats qui traversent la vape, la réponse à l’interrogation de savoir s’il faut recommander aux femmes enceintes fumeuses de passer à la vapoteuse durant la grossesse – et aux ex-fumeuses de continuer la vapoteuse durant cette période – fait s’affronter plusieurs visions du monde.

Pour ceux qui désapprouvent la vape pendant la grossesse, le fait que sa toxicité soit très limitée est déjà inacceptable. La mère ne peut faire courir de facteur de risque à l’enfant et doit trouver la force d’arrêter la cigarette. La science s’en retrouve presque mise au second plan, au profit d’une lecture éthique, qui rappelle, sous certains aspects, le biais de l’aversion à la trahison – qui fait préférer à certains des airbags autos moins performants à des airbags plus performants, mais ayant une chance infime de tuer le conducteur.

Au contraire, ceux qui sont favorables à recommander aux femmes enceintes fumeuses de se tourner vers la vapoteuse adoptent une position pragmatique, voire utilitariste. Oui, dans l’idéal, il serait préférable pour l’enfant à venir de procéder à un arrêt complet de la nicotine. Néanmoins, au vu du haut taux d’échec des sevrages secs chez les femmes enceintes, de la toxicité limitée de la vapoteuse et des résultats encourageants de celle-ci dans l’arrêt du tabac, mieux vaut encourager les femmes dans cette voie que de laisser ce statu quo, où les futures mères culpabilisent en public et risquent, en cachette, de laisser s’exprimer leur addiction à travers des cigarettes, bien plus nocives.

Conclusion

Recommander ou non la vape aux femmes enceintes fumeuses est une question à laquelle il est possible d’apporter une réponse scientifique. En l’état actuel de la recherche, tout semble indiquer que vapoter durant la grossesse est un moindre mal comparé au tabagisme, et qu’il est infiniment préférable de se mettre à la vape pour les femmes enceintes qui ne parviennent pas à arrêter la cigarette. Le moyen importe peu : le plus important, c’est de s’abstenir de fumer.

(1) https://tobaccoatlas.org/topic/prevalence/

(2) https://www.sovape.fr/vape-grossesse/ NOTA : plusieurs des références ci-dessous ont été reprises du dossier très complet publié sur le site de Sovape, vers lequel nous renvoyons le lecteur pour plus d’approfondissements sur le sujet.

(3) https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1871519218306085

(4) https://doi.org/10.1111/j.1360-0443.2004.00540.x

(5) V. https://www.acpjournals.org/doi/10.7326/M16-1107 et https://www.gov.uk/government/publications/e-cigarettes-and-heated-tobacco-products-evidence-review

(6) http://ash.org.uk/download/2018-challenge-group-report-final/

(7) https://www.rcm.org.uk/media/3394/support-to-quit-smoking-in-pregnancy.pdf

(8) V. http://www.cngof.fr/component/rsfiles/apercu?path=Clinique/RPC/RPC%20COLLEGE/2020/RPC-CNGOF-tabagisme-grossesse.pdf et http://www.societe-francophone-de-tabacologie.org/dl/Vape-SFT_SPLF-MoissansTabac-20191101.pdf

(9) https://publichealthmatters.blog.gov.uk/2018/02/20/clearing-up-some-myths-around-e-cigarettes/