L’efficacité de la cigarette électronique dans l’arrêt du tabac: état des lieux

La perspective de lutter contre le tabagisme est profondément ancrée dans l’histoire de la cigarette électronique.

Son inventeur, le pharmacien chinois Han Lik, a imaginé la première cigarette électronique moderne – c’est-à-dire, basée sur la vaporisation d’un liquide chauffé par une résistance et alimenté par une batterie – suite à la mort de son père d’un cancer du poumon et devant le constat de sa propre consommation excessive de tabac. Son invention a vocation à permettre de « fumer sans goudron et donc […] réduire significativement les risques de cancer ». En plus de fournir de la nicotine à son utilisateur, elle lui permet de reproduire le geste de fumer. Mais que dit la science sur cette efficacité supposée dans l’arrêt du tabac ?

Depuis le dépôt de son brevet en 2004, deux axes majeurs d’études se sont dégagés : l’étude de la toxicité de son utilisation (principalement en comparaison avec la cigarette), et l’étude de son efficacité dans le cadre de l’arrêt du tabac (souvent en comparaison avec les substituts nicotiniques et thérapeutiques existantes). Si, dès le début, la cigarette électronique s’est montrée prometteuse sur ces deux plans, il n’y a pas encore aujourd’hui de consensus scientifique, ni sur son innocuité, ni sur son efficacité dans le sevrage de la cigarette. Néanmoins, les dernières études sont incontestablement encourageantes.

Des études récentes qui concluent à l’efficacité de la cigarette électronique pour soutenir un arrêt du tabac

Ces dix dernières années, de nombreuses études ont été menées sur l’efficacité de la cigarette électronique comme moyen de lutte contre le tabagisme. Mais il fallut attendre 2019 pour que deux études de plus grande ampleur, et aux résultats véritablement probants, voient le jour.

La première étude est Américaine. Publiée dans le New England Journal of Medicine en février 2019, elle a suivi 900 personnes pendant leur arrêt du tabac. Après une année, la cigarette électronique s’est avérée deux fois plus efficace que les dérivés nicotiniques classiques (inhalateurs, gomme à mâcher, patchs…) (1). En effet, les chercheurs ont constaté un taux d’arrêt du tabac après un an de plus de 18% chez les sujets ayant utilisé la cigarette électronique, contre un peu moins de 10% pour ceux ayant utilisé un substitut nicotinique (2). Si le nombre de sujet d’étude est peu élevé, la méthodologie surpasse un simple sondage : il ne s’agissait pas seulement s’agit de regarder les résultats a posteriori, mais réellement d’administrer, dans le cadre d’un suivi, du e-liquide aux uns et des substituts nicotiniques aux autres. Néanmoins, certaines critiques relativisent les résultats : pas de double aveugle et une présentation de la cigarette électronique comme alternative supérieure, ce qui a pu influencer les comportements (3).

En mai 2019, une seconde étude majeure a été publiée dans la revue Addiction. Elle a été menée par quatre chercheurs anglais de l’University College of London, sur près de 19 000 fumeurs. Il en ressort des chances d’arrêt du tabac doublées chez ceux qui ont utilisé la cigarette électronique, par rapport à ceux qui n’ont utilisé aucun dérivé nicotinique (4).

Les résultats obtenus par la cigarette électronique dans la lutte contre le tabac sont donc très encourageants, y compris une fois mis en perspectives avec les autres ressources à disposition des fumeurs. Ses effets seraient comparables à ceux de la Varénicline (ou Champix), puissant palliatif au tabac qui réduit les symptômes de sevrage, le plaisir de fumer et la sensibilité du système nerveux à la nicotine et, selon le docteur Berlin de la Pitié-Salpêtrière, le médicament le plus efficace dont on dispose pour le moment. Ils seraient même supérieurs à ceux du Bupropion (Zyban), un autre médicament. Enfin, et c’est peut-être le constat le plus intéressant, la cigarette électronique aurait un potentiel thérapeutique dans l’arrêt du tabac deux fois supérieur aux autres substituts nicotiniques, même pris en association (par exemple, patchs et gommes à la nicotine) (5).

Cependant, il faut garder à l’esprit – et l’étude Anglaise insiste sur ce point – que l’efficacité de chaque moyen de lutte contre le tabagisme diffère selon des données relatives aux individus : âge, niveau d’addiction et statut socio-économique (6). Aussi, il ne faut pas leur donner une portée absolue et uniforme pour l’ensemble de la population.

La question indissociable de sa nocivité pour l’utilisateur

Le rapport bénéfice-risque de la cigarette électronique est encore mal étudié. Selon le Docteur Berlin, interviewé par le journal Le Figaro, la raison de cet état de fait est simple : la vapoteuse n’étant pas, pour le moment, considérée comme un dispositif médical. Il en résulte que les fabricants n’ont pas, comme dans l’industrie des produits de santé, d’obligation de produire des études préalables sur ce rapport bonus-malus.

Mais cela n’a pas empêché la communauté scientifique de se saisir de cette question, qui est incontestablement une des questions brûlantes que soulève la cigarette électronique.

Fin janvier 2020, l’OMS a rendu un avis très contesté. Selon cet organisme dérivé de l’ONU, « il n’y a aucun doute qu’elles [les cigarettes électroniques] sont dangereuses pour la santé ». L’organisation mondiale de la santé cite, entre autres, des risques accrus de maladie cardio-vasculaire, de complications pulmonaires, une altération du développement du fœtus, l’exposition à des substances toxiques...(7). Elle en conclut qu’il faut se tourner vers des solutions éprouvées (les substituts nicotiniques classiques) plutôt que vers la cigarette électronique (8).

Qualifié de « militantisme contre le vapotage » par Peter Hajek, le chef de l'Unité de recherche sur la dépendance au tabac à l'Université Queen Mary de Londres, décrié pour ses nombreuses erreurs et surtout pour ses conséquences sur l’image de la cigarette électronique, cet avis a suscité l’opprobre des amateurs de cigarette électronique et d’une part importante de la communauté médicale.

Gérard Dubois répond à l’OMS que comparer la cigarette électronique à la cigarette, « c’est comparer le pistolet à bouchon avec un canon de marine » (9). Le célèbre pneumologue Bertrand Dautzenberg affirme que, sans être dénuée d’effet indésirable, la cigarette électronique est « infiniment moins nocive » pour la santé que la fumée du tabac. Quant à l’agence britannique de Santé publique, elle estime même sa nocivité à seulement 5% de celle du tabac ! (10) Aussi, il ne faut pas céder aux sirènes alarmistes de l’OMS, qui a, par cet avis, atteint durablement sa crédibilité scientifique – du moins, dans le domaine de la lutte contre le tabac.

Certains effets secondaires, relevant plus d’un inconfort d’utilisation que d’un réel risque pour la santé, ont été signalés par une minorité d'utilisateurs. Pour certains, la vapoteuse provoque des sécheresses, des irritations ou des brûlures de la gorge ou de la bouche. Cela est attribué en partie au propylène glycol et au glycérol, et en partie, à la nicotine (11). Il a aussi été rapporté, dans certains cas, des maux de tête, des nausées et des vertiges.

Il faut cependant rappeler qu’aucun substitut nicotinique n’est dépourvu d’effets secondaires. Ils consistent, par exemple, en des risques de rougeurs, de démangeaison ou de nausées pour les patchs, d’irritation buccale ou de troubles digestifs pour les gommes, d’irritation de la gorge et de toux pour l’inhaleur, ou encore de nausées, de mal de tête ou d’insomnie pour les médicaments de sevrage.

Un risque de remplacer une addiction au tabac par une autre ?

L’arrêt du tabac est une chose ; celui de la nicotine en est une autre. En effet, pour apprécier le rapport entre les bénéfices et les risques de l’utilisation de la cigarette électronique, il faut réussir à estimer combien de temps elle sera employée par celui qui arrête le tabac.

Quelques signaux d’alarmes ont été tirés sur ce point par la communauté scientifique. Premièrement, les vapoteuses modernes sont de plus en plus puissantes. Le Docteur Anne-Laurence Le Faou, présidente de la Société francophone de tabacologie, suspecte les cigarettes électroniques de dernière génération de délivrer la nicotine sous forme de « pics » et non de manière plus diffuse, et donc, d’augmenter le risque d’addiction à la vapoteuse (12)(13) . Deuxièmement, la dimension gestuelle de la cigarette électronique est mise en cause. Si elle semble avoir pour effet d’augmenter l’efficacité dans l’arrêt du tabac en soulageant les composantes psychologiques et comportementales du manque, il lui est reproché par certains tabacologues de faire perdurer les gestes et les habitudes de la cigarette et donc, de retarder le sevrage (14). Troisièmement, l’étude Américaine précitée montre qu’après un an, 80% des vapoteurs continuaient à vapoter, alors que seul 9% de ceux ayant choisi un substitut nicotinique continuaient à en prendre (15). Ainsi, si les substituts nicotiniques et les médicaments de sevrage sont habituellement pris pour une durée allant de 5 semaines à plusieurs mois, il semblerait que pour la cigarette électronique, ce temps de « traitement » puisse se prolonger presque indéfiniment.

Néanmoins, il faut là encore relativiser ses assertions, souvent à charge. Certaines études ont ainsi conclu que la cigarette électronique serait bien moins addictive que la cigarette classique, avec un potentiel addictif comparable à celui des chewing-gums à la nicotine (16) . Dans le même sens, le Professeur Bertrand Dautzenberg estime, chiffres à l’appui, qu’un jeune commençant la cigarette électronique n’aurait qu’une chance sur six de devenir fumeur un an après, alors que celui ayant commencé la cigarette, une chance sur deux (17).

Conclusion

La cigarette électronique fait l’objet d’une crédibilité toujours plus grande en matière de lutte contre le tabagisme. Les études les plus récentes confirment le ressenti de nombre de ses utilisateurs, selon lequel elle est efficace pour arrêter de fumer. Au-delà du monde scientifique et du monde de la cigarette électronique, le Gouvernement semble prendre acte de ses avancées : à l’aube du confinement, il a créé la surprise en qualifiant la cigarette électronique de « produit de première nécessité » (V. article dédié). Ainsi, bien que ses effets à long terme soient encore mal connus (18)(19) et qu’il y ait encore des résistances dans la communauté scientifique, que seul le temps et la multiplication des études parviendront à lever, la cigarette électronique est promise à un bel avenir dans la lutte contre le tabagisme.

Sources:

1, 2 https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1808779?query=featured_home

https://sante.lefigaro.fr/article/arret-du-tabac-l-e-cigarette-plus-efficace-que-les-substituts-/

4, 5, 6 https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/add.14656

7, 8 https://www.sciencesetavenir.fr/sante/pour-l-oms-aucun-doute-que-les-cigarettes-electroniques-sont-nocives_140749

9, 10 https://sante.lefigaro.fr/article/incontestablement-nocive-la-surprenante-charge-de-l-oms-contre-la-cigarette-electronique/

11 Etter J.F. La vérité sur la cigarette électronique. 2013. Fayard.

12 https://sante.lefigaro.fr/article/arret-du-tabac-l-e-cigarette-plus-efficace-que-les-substituts-/

13 https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1808779?query=featured_home

14 https://www.assurance-prevention.fr/cigarette-electronique-efficacite.html

15 https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1808779?query=featured_home J.F Etter, T. Eissenberg. Dependence levels in users of electronic cigarettes, nicotine gums and tobacco cigarettes, Drug and alcohol dependence, 2015 – Elsevier.

16 https://www.europe1.fr/sante/la-cigarette-electronique-est-innocente-clame-le-pneumologue-bertrand-dautzenberg-3919283

17 https://sante.lefigaro.fr/article/arret-du-tabac-l-e-cigarette-plus-efficace-que-les-substituts-/

18 https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1808779?query=featured_home