Produit de santé, produit de consommation ou produit du tabac ? L’e-cigarette entre, par bien des aspects, dans chacune de ces catégories. Cette nature difficile à déterminer explique la nature composite de son régime juridique.
Inspiré de législations inadaptées à ses spécificités, il impacte directement l’économie du secteur de l’e-cigarette. Celui-ci doit composer avec des contraintes fortes, allant de l’interdiction de la publicité directe au risque de voir arriver, un jour, une taxe sur la consommation des produits de l’e-cigarette aux conséquences ravageuses. Heureusement pour les professionnels du secteur, il a su dépasser tous ces obstacles avec panache. À en croire la tendance générale haussière du marché de l’e-cigarette, elle est promise à un avenir radieux.
Le statut juridique complexe de la cigarette électronique
Ressemblant à une cigarette conventionnelle par sa forme et par le geste, à un inhalateur à nicotine par son intérêt thérapeutique dans la lutte contre le tabagisme ou encore à un simple bien de consommation par son côté branché et ses arômes accrocheurs, la cigarette électronique est difficilement réductible à une seule catégorie de biens.
De manière générale, il est possible d’affirmer que les produits de l’e-cigarette sont des biens de consommation, soumis à des obligations particulières au titre de la réglementation sur les produits du tabac et des réglementations applicables aux mélanges dangereux.
Tout e-liquide peut, théoriquement, entrer dans la catégorie de médicament s’il revendique l’aide au sevrage tabagique ou si sa concentration en nicotine est supérieure à 20 mg/ml, conformément à l’article L5121-2 du code de la santé publique. Mais aucune autorisation de mise sur le marché en ce sens n’a été délivrée. À défaut d'être reconnus comme produits de santé, les e-liquides relèvent du régime des biens de consommation.
À ce titre, ils sont soumis au règlement européen CLP de 2008, concernant la classification, l’étiquetage et l’emballage des mélanges dangereux et, surtout, à la directive européenne de 2014 sur les produits du tabac. Les flacons nicotinés ne peuvent dépasser 10 ml, avec une concentration maximale de nicotine de 20 mg/ml. Les flacons doivent être revêtus d’un étiquetage respectant pictogrammes et mentions obligatoires, et ne doivent pas mentionner le mot « tabac ». C’est pourquoi, dans la pratique, le terme « classic » remplace celui de tabac dans la dénomination des e-liquides.
Un pan important des réglementations s’y appliquant concerne la protection des enfants. Interdits à la vente aux mineurs, ils ne doivent pas non plus attirer leur curiosité, induire en erreur sur leur contenu ou même comporter de représentation graphique des fruits ou plantes comestibles que leur parfum évoque. Leur ouverture par les enfants doit être difficile.
Pour finir, et sans qu’il soit nécessaire de détailler leur environnement réglementaire, notons que les chargeurs, les batteries et le corps de l’e-cigarette sont soumis à l’obligation générale de sécurité prévue aux articles L421-1 et suivants du code de la consommation.
Un environnement normatif contraignant pour le secteur économique de la vape
La multiplication des réglementations et normes inhérentes aux produits de l’e-cigarette peut s'avérer contraignante pour les revendeurs et les fabricantes. Les normes réduisent la taille du marché. La totalité des produits de l’e-cigarette est interdite de vente aux mineurs, la cigarette électronique étant souvent considérée – à tort ou à raison – comme une voie d’entrée vers le tabac. Surtout, l’interdiction de faire, comme pour le tabac, de la publicité directe pour la cigarette électronique (directive TPD) complique largement la mise en place d’un plan marketing efficace pour les fabricants et pour les revendeurs. Limités à une stratégie d’inbound marketing, ils doivent composer avec cette contrainte majeure.
Les normes peuvent également affecter son image, comme l’a fait l’association durable, par la directive TPD, entre produits de la cigarette électronique et produits du tabac. Plus largement, les discours des autorités publiques, qu’elles soient politiques ou de santé, ont des conséquences directes sur la santé économique de ce secteur. En l’absence de consensus scientifique sur ses conséquences à long terme pour la santé – malgré des études très encourageantes –, la moindre publicité négative se transforme en crise sectorielle, comme nous l’avons vu en 2019, lors de la publication du rapport désastreux de l’OMS et de la vague de décès dus à l’utilisation d’huiles frelatées aux États-Unis.
En ce qui concerne les réglementations fiscales des produits de l’e-cigarette, elles menacent de mettre à mal l’ensemble de son économie. La directive TPD laisse aux États membres le choix de déterminer le régime fiscal qu’ils souhaitent appliquer aux produits de l’e-cigarette. Pour le moment, les taxes ne sont pas trop fortes : seulement soumis, comme le tabac, à une TVA de 20 %, ils sont épargnés par la très élevée taxe DCT (Droit à la consommation du tabac), qui représente aujourd’hui 6 euros sur le prix d’un paquet de cigarettes. Il est néanmoins possible que sa situation fiscale évolue dans les années à venir, comme dans d’autres États européens, chez qui l’ajout d’une taxe a parfois doublé les prix.
Enfin, les interdictions dont son usage fait l’objet peuvent décourager des utilisateurs potentiels d’y avoir recours. Son utilisation est aujourd’hui prohibée au travail et dans les lieux publics fermés (L3512-6 du code de la santé publique), alors que dans ces débuts, son utilisation était beaucoup moins réglementée.
Un secteur économique d’avenir ponctué de crises
Arrivés en France en 2010, les premiers distributeurs d’e-cigarette ont profité d’un engouement presque inattendu. Au bout de la première année de commercialisation, par bouche-à-oreille et par un marketing adapté, les ventes ont rapidement pris leur envol (1) et de nombreuses boutiques ont ouvert. La progression fut impressionnante.
Dix ans plus tard, force est de constater que le marché haussier de la cigarette électronique a continué de se développer à une vitesse impressionnante, surtout à partir de 2016, période pendant laquelle les ventes en France ont connu une hausse régulière et soutenue (environ 20 % par an en 2017 et en 2018). Le marché français de l’e-cigarette est aujourd’hui évalué à environ un milliard d’euros. Le nombre de boutiques – surtout des franchises – ne cesse d’augmenter : il existe aujourd’hui environ 2500 boutiques en France, avec autant de nouveaux emplois à la clé.
Cette success-story est cependant ponctuée de passages à vide. Ce secteur a connu, à plusieurs reprises, des crises majeures de nature à faire douter de sa viabilité sur le long terme. Entre 2014 et 2016, le marché de l’e-cigarette connut une période de flottement : après l’engouement initial, l’heure était au doute. Vapoteurs.net estime dans une étude que le panier moyen du consommateur d’e-cigarette est passé de 100 euros au lancement de ces produits, à seulement 25 euros en 2015.
De manière encore plus dramatique pour le secteur, les évènements de 2019 firent chuter le chiffre d’affaires des professionnels français du secteur de 20 à 30 % (2). En 2020, la crise du coronavirus a aussi eu un impact réel sur l’économie du secteur, comme sur de nombreux autres : impossibilité de tester les produits en boutique, nombre limité de clients, ruptures de stocks dus au gel de l’économie chinoise et des imports. Ce sont finalement les boutiques de vente en ligne qui ont le plus réussi à garder la tête hors de l’eau.
Conclusion
L’e-cigarette est un secteur économique porteur, qui a connu, malgré les crises qui l’ont traversé, un développement constant depuis sa création. Cette tendance haussière, souvent freinée par les normes successives qui en ont encadré la production et la vente, pourrait en fait, à l’avenir, être démultipliée par cette même évolution du statut juridique de l’e-cigarette. Certaines ont, d’ores et déjà, eut un impact positif sur la perception de l’e-cigarette chez le grand public, à l’image de l’effet rassurant pour les consommateurs de la réglementation de la fabrication s’appliquant aux produits de l’e-cigarette (3) et, plus récemment, de la reconnaissance des produits de l’e-cigarette comme « produits de première nécessité » par Olivier Véran. Une évolution juridique de son statut, notamment dans le sens du remboursement des produits de l’e-cigarette par la sécurité sociale, pourrait en réalité aider de nombreux fumeurs à sauter le pas.
(2) Selon les Chiffres avancés par la fédération des professionnels indépendants de la cigarette électronique et des e-liquides (FIVAPE) pour août 2019
(3) Sondage Vap’you