L’e-cigarette visée par des mesures restrictives aux Pays-Bas: cas isolé?

La génération qui dira « non » au tabac en fera de même avec la vape. Ce sont, en substance, les propos tenus par le ministre de la Santé néerlandais devant le Parlement de son État. Cette actualité n’est pas un cas isolé dans le paysage européen. Pour des raisons qui diffèrent et selon des modalités relevant de la discrétionnarité de chacun, les États européens sont nombreux à vouloir durcir la réglementation s’appliquant aux e-cigarettes.

Même en considérant certains points chauds du débat, comme la très médiatique vague de décès aux États-Unis ou le rapport tendancieux de l’OMS en 2019, ces décisions restent difficilement compréhensibles, alors que le tabac continue, depuis des décennies et sans que cela puisse être contesté, à faire des ravages à travers le monde.

Pour autant, il ne faut pas dépeindre un tableau plus sévère qu’il ne l’est en réalité. En Europe, aucun État n’a prévu une interdiction absolue de vapoter. L’e-cigarette a survécu à sa première décennie d’existence, en passant de jouet pour geek à objet d’un débat social et politique intense. Au moins, elle est aujourd’hui prise au sérieux.

Tour d’horizon des législations européennes et des tendances de fond qui, peu à peu ou brutalement, inversent la vapeur en matière d’e-cigarette.

Le récent tour de vis donné à la législation néerlandaise en matière d'e-cigarette

Jusqu’ici, la Hollande avait une législation permissive envers la cigarette électronique, comparable à celle en vigueur en France. Mais Paul Blokhuis, le ministre de la Santé néerlandais, semble bien être en train de faire machine arrière. Il a récemment annoncé le détail d’une série de mesure visant à construire une génération hollandaise sans tabac d’ici 2040.

Les moyens mobilisés contre la cigarette n’ont rien de très original : augmentation du prix du paquet de cigarettes, interdiction aux supermarchés et aux stations essence de vendre les produits du tabac ou encore, impossibilité de fumer dans les cours d’école. Néanmoins, le nuage radioactif du tabac ne s’arrêterait pas, selon lui, à la frontière des produits du tabac : une génération sans tabac, c’est aussi, selon le ministre de la Santé, « une génération sans e-cigarette »(1).

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D’ici un peu moins d’un an, au printemps 2021, les Pays-Bas interdiront tous les e-liquides parfumés, à l’exception des arômes au tabac. Le Gouvernement s’appuie sur une étude publiée par l’Institut de la santé publique et de l’environnement (RIVM) national que le goût sucré des e-liquides rendait le produit « attrayant pour les jeunes », au risque d’en faire – il cite alors le Trimbos Instituut – un « tremplin vers le tabac »(1).

. En outre, le Gouvernement néerlandais va tout mettre en œuvre pour taxer les e-liquides, au niveau national et, il l’espère, au niveau européen, à l’occasion du réexamen de la TPD.

Une tendance générale à l’encadrement juridique de l’e-cigarette dans les États européens

Un premier groupe d’États européens a, pour le moment, une législation permissive, mais qui tend à évoluer vers un plus grand contrôle. C’est notamment le cas de la Suisse, qui envisage sérieusement de faire passer les produits de la cigarette électronique de biens usuels, entrant dans le champ d’application du droit alimentaire, aux produits du tabac, lourdement réglementés. C’est aussi le cas de la Russie, où le flou juridique pourrait bientôt laisser place à une réglementation mieux définie, intégrant la cigarette électronique dans la politique de lutte contre le tabagisme. C’est enfin le cas de la Suède, où l’agence publique de santé envisage sérieusement d’interdire les e-liquides aromatisés.

Un second groupe d’États européens a, lui, déjà mis en place des mesures très restrictives sur l’usage de l’e-cigarette en l’assimilant, sous certaines conditions, à un médicament. L’Autriche (depuis une norme récente datant de mai 2018) ou la Croatie classent les produits de la cigarette électronique parmi les produits de soin : ils doivent être approuvés par les autorités de santé. La Norvège différencie les e-liquides « médicaments » et les e-liquides « substituts au tabac » et réglemente de manière très stricte les possibilités d’achat d’e-cigarette.

À l’opposé complet du précédent, un troisième groupe d’États a choisi la voie de l’assimilation de l’e-cigarette et de ses produits aux champs des produits du tabac et des substituts tabagiques. En Finlande, la réglementation interdit vente de produits aromatisés et différencie les e-liquides nicotinés, qu’elle assimile aux produits liés au tabac, des e-liquides sans nicotine, eux considérés comme des substituts au tabac. La République tchèque a adopté un angle encore plus original. Elle réglemente très fortement le taux de nicotine, en limite la possession et interdit tous les arômes des e-liquides, y compris l’arôme tabac. La vapoteuse est devenue, dans cet État, une simple source de nicotine.

Ces législations, qui paraissent déjà bien sévères, ne sont que peu de choses par rapport aux interdictions absolues mises en place dans certains grands pays hors de l’Europe, comme l’Inde, le Mexique, la Thaïlande ou la Turquie.

Pourquoi déclarer l’e-cigarette persona non grata ?

Les contradictions apparentes qu’entretiennent ces différentes politiques vis-à-vis du statut de la cigarette électronique ont de quoi surprendre. Elles témoignent en effet du manque d’unité politique autour de la cigarette électronique, qui déchaîne toujours les passions, dix ans après son apparition.

Chaque État est libre sur son sol – sous réserve de respecter ses engagements internationaux – d’aménager comme il le souhaite le régime juridique de la cigarette électronique. On peut néanmoins déplorer qu’à l’heure des contre-vérités et des fake news, le quasi-consensus qui émerge peu à peu autour des résultats positifs de la cigarette électronique (comme substitut tabagique infiniment moins nocif que le tabac) ne soit pas le socle sur lequel les États appuient, avant toute autre considération, leurs décisions.

Ainsi, les Pays-Bas permettent aux particuliers de posséder cinq plants de marijuana et à certaines entreprises de cultiver du cannabis en grande quantité (2), mais refusent les e-liquides mentholés sur leur territoire, alors même que les effets néfastes d’une addiction au cannabis sont bien documentés. De même, l’Inde ou le Brésil ont à déplorer sur leurs territoires un nombre de morts très élevé dû à la consommation de tabac, mais persistent pourtant dans une interdiction absolue de la cigarette électronique.

Pourquoi s’opposer avec autant de force à la cigarette électronique, alors même que le tabac continue ses ravages ? De manière non exhaustive, il est possible de mettre en avant certains des arguments les plus fréquemment avancés.

Un premier argument est celui du potentiel addictif de la nicotine présente dans les e-liquides. Ainsi, les Émirats arabes unis interdisent la cigarette électronique au nom de la lutte contre les addictions (3). De même, quand l’État finlandais considère qu’un produit nicotiné n’est pas un substitut tabagique, mais doit au contraire être assimilé au tabac, il met les dépendances physiques et psychologiques à l’e-cigarette au premier plan de la décision.

Cette position peut s’expliquer par le fait que l’addiction entre dans le champ de la pathologie psychiatrique. Reconnue comme une maladie, elle est donc à combattre, au même titre et avec la même vigueur que les affections physiques. Néanmoins, ce n’est pas une position très pragmatique. Être addict à la nicotine est dangereux si cela pousse à consommer des cigarettes. Mais si ce besoin est redirigé vers les e-liquides, les conséquences pour la santé, tant psychologique que physique, sont presque inexistantes.

Un deuxième argument est celui de la protection des individus, en particulier des plus jeunes, contre le marketing de la cigarette électronique et son pouvoir de séduction. La République tchèque autorise la nicotine dans les e-liquide, mais refuse tout arôme, y compris tabac. Vapoter ne doit pas être un plaisir ! Dans une même veine, l’ONU et l’UNICEF déplorent, dans un rapport datant du début d’année 2020, le marketing agressif autour de l’e-cigarette, qui plaît bien trop aux jeunes (4). En 2014, l’UNICEF avait d’ailleurs salué la décision prise en 2014 par le Brésil d’interdire totalement la cigarette électronique sur son territoire, au nom de la protection de la jeunesse (3).

Enfin, il est souvent argué que la cigarette électronique est très nocive et ne doit surtout pas se développer. Peu défendue dans le monde scientifique, cette position se retrouve néanmoins souvent dans la bouche des politiciens et d’une part de la population, marqués par le rapport de l’OMS ou par la vague de décès américaine (du fait, rappelons-le, de e-liquides frelatés). C’est ainsi que le secrétaire à la santé mexicain, José Narro Robles, affirma que le Mexique n’approuvera jamais ce produit mortel. (3).

Directement liées aux tendances qui font et défont l’image de l’e-cigarette , les législations sur l’e-cigarette dépendent aussi des cultures propres à chaque État, notamment leur rapport à la liberté individuelle et à l’interventionnisme de l’État. Mais concrètement, les législateurs avancent dans le brouillard. Comme pour le port du masque ou la politique de confinement pendant le Covid-19, ils tâtonnent, en s’appuyant sur les conseils contradictoires donnés par leurs autorités scientifiques nationales, une volonté de communication opportuniste ou encore des calculs économiques.

La majorité des États européens reste favorable à l’e-cigarette

Il n’y a pas de volonté commune des États européens de couper l’herbe sous le pied de la cigarette électronique et de son immense potentiel thérapeutique. En particulier, les pays d’Europe de l’Ouest restent, malgré les décisions prises plus au nord ou outre-Atlantique, en grande partie favorables au développement et à l’utilisation de la cigarette électronique dans le cadre d’un arrêt tabagique.

En France, ce sont près de 700 000 fumeurs qui ont diminué ou arrêté leur consommation de tabac grâce à la cigarette électronique, entre 2017 et 2017 (5) grâce à une législation à la fois protectrice des utilisateurs – du fait des normes édictées – et permissive.

En Allemagne, en Espagne, au Portugal ou en Italie, la cigarette électronique n’est pas fortement réglementée et laisse libre ses aficionados d’en faire bon usage dans leur arrêt du tabac. Plus encore, le Royaume-Uni est la terre promise des vapoteurs. Son grand intérêt fait l’objet d’un quasi-consensus auprès des médecins, qui n’hésitent pas à la recommander à leurs patients dans le cadre de leur sevrage tabagique.

Qui, à l’échelle européenne, l’emportera, de la tendance à l’interdiction ou de celle à la reconnaissance de l’e-cigarette ? Au vu du bilan très hétéroclite que nous venons de dresser, il est impossible de trancher. Mais au moins, la volonté partagée par une majorité d’États de réglementer la cigarette électronique, dans un sens comme dans l’autre, témoigne de l’intérêt qui lui est aujourd’hui apporté.

Sources

(1) https://www.tweedekamer.nl/kamerstukken/brieven_regering/detail?id=2020Z11833&did=2020D25402

(2) https://fr.vapingpost.com/pays-bas-le-gouvernement-recrute-des-cultivateurs-de-cannabis/

(3) https://www.businessinsider.fr/voici-les-pays-qui-interdisent-la-cigarette-electronique-totalement-ou-partiellement/#la-thailande

(4) https://www.20minutes.fr/planete/2721771-20200219-climat-malbouffe-e-cigarette-menace-immediate-sante-tous-enfants

(5) https://sante.lefigaro.fr/article/en-sept-ans-700-000-fumeurs-ont-decroche-grace-a-la-cigarette-electronique/