Taxer la cigarette électronique et le e liquide?

Les produits de vapotage font, pour l’heure, l’objet d’une législation fiscale clémente. Contrairement aux cigarettes conventionnelles, ils ne font en effet pas l’objet d’une désincitation financière à la consommation, par le biais éprouvé de taxes prohibitives.

Faut il taxer la cigarette électroniqueCette différence fiscale entretenue entre la cigarette électronique et la cigarette conventionnelle paraît de bon sens : la cigarette électronique a pour finalité de libérer son utilisateur d’un tabac dont les dangers n’ont plus à être démontrés. Pourquoi, dès lors, en décourager l’usage ? Assimiler les produits de vapotage aux produits du tabac est au mieux une idée peu judicieuse et, au pire des cas, un désastre sanitaire en devenir, si elle conduit à limiter le nombre de fumeurs convertis à la cigarette électronique. Pourtant, certaines voix se font entendre, en faveur d’une taxation des produits de l’e-cigarette alignée sur celle du tabac. Ainsi, il est tout à fait plausible que nous connaissions, comme certains de nos voisins européens et à courte échéance (quelques exercices fiscaux) la fin d’un précieux statu quo sur les taxes applicables aux produits de vapotage.

Les taxes applicables aujourd’hui aux produits de la cigarette électronique

Les produits de la cigarette électronique sont classifiés en France comme dérivés du tabac, en application de la Directive européenne sur Les produits du tabac (DPT). Ils ne sont néanmoins pas soumis au même régime fiscal que les cigarettes. En effet, l’Union européenne laisse les Etats-membres libres de déterminer eux-mêmes les taxes applicables aux produits de l’e-cigarette. Pour le moment, la Commission européenne ne prévoit pas d’obliger les Etats à mettre en place une telle taxe. En 2018, elle justifiait cette position par un manque de donnée sur la nocivité de l’e-cigarette et sur le caractère non-prouvé de son bénéfice thérapeutique.

Pour l’heure, les consommateurs français sont bien lotis : le Parlement n’a pas mis en place une telle fiscalité d’exception. Si la cigarette électronique est bien soumise à une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 20%, comme le tabac et d’autres produits de consommation, elle n’est pas concernée par la très élevée taxe Droit à la consommation du tabac (DCT). En effet, il faut savoir que le prix d’un paquet de tabac est déterminé à plus de 80% par les taxes. Au prix actuel du paquet de tabac, cette dernière taxe représente plus de 6 euros à elle seule ! Elle n’est pas non plus assimilée à un médicament et à leur statut fiscal dérogatoire (ce ne serait pas impossible d’un point de vue légal, sous certaines conditions (1), mais, pour le moment, aucun produit de l’e-cigarette n’a fait l’objet d’une telle autorisation de mise sur le marché.

Une taxe spécifique à la cigarette électronique a pourtant bien existé. Il s’agissait d’une taxe affectée forfaitaire de notification à la charge du fabricant, lors de la sortie de nouveaux liquides nicotinés. Ses bénéfices revenaient à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). Codifiée à l’article L.3513-12 du Code de la santé publique, elle avait un montant forfaitaire initial de 295 € (décret du 12 décembre 2016), 120 € lors de renouvellement annuel. Néanmoins, la Loi de finances 2019 l’a supprimé, en même temps que d’autres taxes à faibles rendements (pour celle-ci, environ 6 millions d’euros par an seulement, donc rien de comparable à la taxe DCT). Ainsi, depuis le 1er janvier 2020, même si la notification auprès de l’ANSES est toujours obligatoire, elle ne fait plus l’objet d’un prélèvement obligatoire.

Néanmoins, la situation fiscale de la cigarette électronique en France pourrait tout à fait évoluer, comme ce fut le cas de certains Etats européens. Certains de nos voisins ont en effet mis en place des taxes très lourdes sur les produits de la cigarette électronique. C’est notamment le cas du Portugal, de la Roumanie, de la Grèce et de l’Italie. Pour prendre l’exemple Italien, les prix ont soudainement augmenté de 4,50 € début 2018, ce qui revient à dire que le prix d’un flacon de 10ml a tout simplement doublé, du jour au lendemain. En parallèle, l’Etat Italien s’est attribué le monopole de la vente des produits de la cigarette électronique, comme pour la cigarette conventionnelle. Désormais, en Italie, le prix des cigarettes classiques est moins élevé qu’ailleurs, mais celui des produits de substitution et de réduction des risques, bien plus élevé (2).

Les conséquences désastreuses d’une taxe qui rapprocherait le régime fiscal des cigarettes électroniques de celui du tabac

En France, entre 2015 et 2017, la proportion de fumeurs est passée de 29,4% à 25,2% du fait de hausses répétées du prix du paquet de tabac, répercutant des hausses fiscales importantes (3). Si les taxes permettent à l’Etat de récupérer des sommes considérables (en 2020, les caisses de l’Etat français ont été renflouées de 16 milliards d’euros, avec les seules taxes sur le tabac), leur principale vertu réside surtout dans leur efficacité pour inciter les Français à fumer moins. Cela est bien connu : dans tous les domaines, les taxes sont un moyen très efficace d’agir sur les comportements individuels. Dans le cas des taxes sur le tabac, l’objectif est louable, et les résultats, au rendez-vous. Il est autrement pour les produits de l'e-cigarette.

En incitant à vapoter moins, le risque est grand de décourager de nombreux fumeurs à arrêter la cigarette pour effectuer une transition vers la cigarette électronique. En effet, garder un différentiel important entre la cigarette conventionnelle et la cigarette électronique est l’un des premiers leviers du succès de la cigarette électronique en France. A contrario, en alignant les taxes sur le tabac et sur l’e-cigarette, les conséquences seraient dommageables : aggravation de la confusion entre ces deux produits, déjà initiée par la Directive sur les produits du tabac, atteinte durable de l’image de la cigarette électronique comme remède au tabac et perte de l’importante différence de prix entre la cigarette électronique et la cigarette conventionnelle. Il ne restera alors plus qu’à espérer, avec le Professeur Dautzenberg, que, « du moment que la taxe de l’État ne double pas le prix de la cigarette électronique, les fabricants, les vendeurs et les consommateurs l’accepteront ».

Les arguments soulevés par les tenants d’une hausse fiscale sont peu nombreux. D’une part, il y a l’argument…Fiscal. Une nouvelle taxe, c’est une nouvelle entrée venant regonfler les comptes publics. Néanmoins, il s’agit probablement d’un très mauvais calcul ! Diminuer le taux de transition des fumeurs vers l’e-cigarette, c’est provoquer des retombées sanitaires négatives, qui coûteront probablement plus cher que le gain potentiel d’une taxation des produits de l’e-cigarette. D’autre part, il y a l’argument sanitaire de l’Organisation Mondiale de la Santé, dans son décrié rapport de 2019. Elle y considéra que la taxation des produits de vapotage permettrait de diminuer son attractivité chez les jeunes. A cela, le PDG de Philip Morris International lui-même, André Calantzopoulos, affirma dans une interview donnée au Figaro qu’il faudrait mettre en place une taxation différentielle entre la cigarette conventionnelle et les solutions alternatives, pour accélérer la transition vers ces dernières, « moins nocives ». On se retrouve dans une situation pour le moins paradoxale, avec un baron de l’industrie du tabac qui aimerait que les alternatives au tabac soient moins taxées, et une institution onusienne appelant à un alignement avec les taxes applicables au tabac.

De peur qu’une telle taxe devienne réalité, des utilisateurs de e-cigarette se sont mobilisés pour montrer les retombées négatives d’une taxation des produits de l’e-cigarette. Le meilleur exemple est l’action menée par l’Association indépendante des utilisateurs de cigarette électronique (l’AIDUCE), qui a réalisé un guide pratique sur le sujet. Plus impressionnant encore, un sondage réalisé pour le compte de la Commission européenne montre le peu de pertinence d’une telle taxe dans l’esprit des citoyens européens. A la question : « Êtes-vous d’accord pour dire que les e-cigarettes ne sont pas du tabac et ne devraient pas être soumises aux taxations ? », 89 % des sondés ont répondu non (4). Autrement dit, pour 9 Européens sur 10, il ne faut pas taxer les produits de cigarette électronique. Il s’agit là de simple bon sens.

Sources

(1) V. https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/Publications/Vie-pratique/Fiches-pratiques/cigarette-electronique

(2) Propos tenus par Sergio Boccadutri, député démocrate italien, au moment de cette modification fiscale.

(3) V. les données recueillies par l’organisme Santé Publique France.

(4) V. http://vapolitique.blogspot.com/2018/09/consultation-europeenne-89-estiment-que.html