La nicotine protège-t-elle vraiment du coronavirus ?

Ce n’est plus à prouver : le tabac est un fléau pour les voies pulmonaires. Dans le cadre de l’épidémie actuelle, il est notamment suspecté d’aggraver les symptômes du coronavirus chez les fumeurs réguliers. Pourtant, plusieurs études récentes font un même constat : quantitativement, les fumeurs sont beaucoup moins représentés que les non-fumeurs dans les cohortes de patients diagnostiqués positifs au coronavirus !

Pour expliquer cela, les scientifiques avancent plusieurs hypothèses. Parmi celles-ci, la plus prometteuse tient la nicotine contenue dans les cigarettes comme le principal facteur de cette étrange observation. Elle aurait un effet protecteur, qui empêcherait le virus de se fixer sur les récepteurs des cellules. Si cette hypothèse doit encore être confirmée, la communauté scientifique lui accorde une réelle plausibilité.

Dans cet article, nous allons tenter, en nous fondant sur l’état actuel de la science, de répondre à la question suivante : devons-nous, au regard de ces données, adapter notre consommation de tabac et/ou de e-liquides pendant le confinement ?

Les faits : une faible prévalence des fumeurs parmi les patients positifs au Covid-19

Plusieurs études ont des résultats concordants, pour affirmer que les fumeurs sont significativement moins représentés parmi les patients testés positifs au Covid-19. cartoon-doctor-5022797_1920.jpg

  • La première, menée en Chine, a été publiée fin mars dans le New England Journal of Medicine (1). Sur 1000 personnes infectées, la proportion de fumeur était de 12,6%, alors pourtant que la chine compte une proportion de 28% de fumeur.
  • La seconde provient des Etats-Unis. Le Morbidity and Mortality Weekly Report du 28 mars 2020 (2) indique une prévalence du tabagisme de seulement 1,3% chez les Américains testés positifs au Covid-19.
  • La troisième a été menée en France, à la Pitié-Salpêtrière (3). Sur une cohorte de 349 personnes hospitalisées testées positives au Covid-19 et 139 personnes positives au Covid-19 mais dont l’état n’a pas nécessité une hospitalisation, la proportion de fumeur était de seulement 5% environ, qu’il faut rapporter aux 25,4% de prévalence du tabagisme chez les français.
  • La quatrième, française également, s’appuie sur les données de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) (3). Ses résultats vont, là aussi, dans le même sens : sur 11 000 patients hospitalisés testés positifs au Covid-19, environ 8,5% étaient fumeurs, soit trois fois moins que dans la population globale.
  • Enfin, une méta-étude systématique (4), datant de début avril 2020, tend à montrer que sur 5960 patients hospitalisés pour cause de Covid-19 et dont on connaissait le statut tabagique, seulement 6,5% étaient fumeurs.

L’hypothèse avancée : la nicotine protège de la contamination au Covid-19

Ces résultats n’ont rien d’un simple hasard statistique. Comme l’exprime l’équipe de la Pitié-Salpétrière, ils « suggèrent fortement que les fumeurs quotidiens ont une probabilité beaucoup plus faible de développer une infection symptomatique ou grave par le SARS-CoV-2 par rapport à la population générale ».

Corrélation n’implique pas causalité. Il est ainsi impossible d’affirmer avec certitude que c’est le tabagisme qui protège contre le coronavirus : ils pourraient tout à fait résulter d’une même cause. Par exemple, s’il était avéré que les fumeurs ont tendance à sortir significativement moins de chez eux que le reste de la population, alors ils auraient aussi moins de chance d’attraper le coronavirus.

Pour être certain d’avoir une causalité et non une simple corrélation, il aurait fallu, dans une situation idéale et irréalisable, administrer dans des conditions de laboratoire, à deux groupes tout à fait homogènes, de la nicotine aux uns, et un placebo aux autres, pour ensuite les exposer au coronavirus.

Néanmoins, en l’état actuel des connaissances, la majorité des équipes de recherche se dirigent bel et bien vers l’hypothèse d’un lien de cause à effet entre consommation de tabac et faible prévalence du coronavirus. Leur théorie ? La nicotine contenue dans le tabac, en ayant un effet protecteur sur les récepteurs nicotiniques du fumeur (4) & (5) ou, selon le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux, en « interférant avec l’attachement du coronavirus sur les récepteurs des cellules », empêcherait le virus de se fixer sur les cellules et, par conséquent, s’opposerait à la propagation du virus.

Bien qu’intuitivement cela semble paradoxal, il semblerait donc que le tabac protège du coronavirus, du fait de la substance addictive qui le compose. Pour l’instant, ces résultats ne concernent que le tabac. Aucune étude sérieuse n’a été menée sur les consommateurs de nicotine contenue dans les e-liquides, faute de données suffisantes.

La nécessité d’attendre une confirmation de ces résultats

L’hypothèse selon laquelle la nicotine empêcherait la fixation du coronavirus sur les cellules et jouerait un rôle dans la réponse inflammatoire due à la contamination doit encore être éprouvée.

Ainsi, les études chinoises et américaines nécessitent encore, à ce jour, une relecture par les pairs, et l’étude de la Pitié-Salpêtrière, bien qu’elle ait pris en compte les principaux facteurs de confusion (précision opérée par Florence Turbach, épidémiologiste), doit encore être répliquée.

En outre, certains sons de cloches contraires se font entendre, même si scientifiquement, ils n’ont pas un poids similaire. Ainsi, un sondage lancé par les associations AIDUCE et SOVAPE (6), supervisée par le Professeur Bertrand Dautzenberg et ayant recueilli 10 000 réponses, tend à indiquer que les proportions de non-fumeurs, de fumeurs, de vapoteurs et de consommateurs de substituts nicotiniques sont cohérentes avec la population générale, et donc, que les différences entre ces groupes ne sont pas significatives.

Nous attendons donc avec grand intérêt les résultats de certaines études cliniques en cours, et d’autres qui devraient bientôt débuter, pour déterminer l’impact de la nicotine sur l’infection par le coronavirus. En particulier, une étude clinique poussée devrait être menée prochainement. Elle consistera à administrer des patchs nicotiniques à trois groupes : des soignants, des patients hospitalisés et des patients en réanimation, ce qui serait de nature à démontrer, dans un cadre clinique, l’existence d’un effet dû à la seule nicotine. Ces conditions de test, beaucoup plus proches du modèle idéal pour pour déterminer une causalité, devraient permettre d’y voir plus clair.

Le risque d’en tirer des conclusions dangereuses : commencer à fumer pour se protéger du coronavirus

Si le Coronavirus nous a appris quelque chose, c’est à prendre du recul sur la réalité des facteurs de risque. L’épidémie de Coronavirus a sauvé des vies, par le confinement généralisé qu’elle a entraîné. A Wuhan, la qualité de l’air s’est significativement améliorée (7). En France, cette même baisse de la pollution de l’air aurait sauvé, selon une étude relatée par le journal Le Monde (8), près de 11 000 vies en un mois.

Mais le Coronavirus pourrait aussi causer indirectement de nombreuses morts si les individus renonçaient à leur traitement, de peur d’aller chez le médecin pendant la crise, ou si des scientifiques peu responsables incitaient les individus à se mettre au tabac pour se protéger des effets du Coronavirus.

Le tabac tue. Pour rappel, la fumée issue de sa combustion contient plus de 4000 substances, dont de nombreuses sont d’ores et déjà répertoriées comme toxiques ou cancérigènes. Chaque année, dans le monde, 8 millions de personnes décèdent des suites du tabagisme et, en France, 75 000 décès évitables sont imputés au seul tabac. À titre de comparaison, le Coronavirus n’a provoqué le décès « que » de 244 000 personnes dans le monde, dont 24 800 en France, à l’heure où ces lignes sont écrites.

Un autre chiffre est encore plus évocateur une fois mis en perspective : si environ 98% des personnes infectées par le coronavirus survivent, seulement un fumeur sur deux qui a continué à fumer jusqu’à la fin de sa vie ne décédera pas des effets du tabac.

Enfin, deux études chinoises tendent à démontrer que les fumeurs infectés par le coronavirus ont plus de risques de contracter des formes graves de la maladie, de voir leur état s’aggraver. Le facteur serait de l’ordre de 1,4 fois de risque supplémentaire d’avoir des symptômes graves (9) et 2,4 fois plus de risque d’être admis dans une unité de soin intensif (10).

C’est donc un calcul terrible de se mettre à fumer pendant l’épidémie de coronavirus, dans l’espoir de s’en protéger, et ce, même s’il était avéré que ce comportement constitue une barrière efficace contre ce virus. Il faut, dans la mesure du possible, arrêter le tabac au plus vite et protéger ses proches, confinés près de soi, du tabagisme passif.

Quid de la cigarette électronique et des substituts nicotiniques ?

À ce jour, nous ne disposons d’aucune donnée scientifique solide établissant un lien, positif ou négatif, entre vapotage et contamination au coronavirus (4).

Dans le cas où un tel lien serait établi, il est possible d’imaginer que vapoter ou mettre des patchs à la nicotine constituerait un « geste barrière » contre le coronavirus.

Néanmoins, le risque d’une telle démarche serait de développer une addiction à la nicotine, qui aurait pu être évitée et, potentiellement, de se mettre un jour à la cigarette.

C’est pour cela qu’il ne faut surtout pas tirer de telles conclusions par soi-même. Il faut au contraire attendre les recommandations des autorités sanitaires pour, éventuellement, adapter ses comportements.

En attendant, les conseils habituels s’appliquent :

  • Si vous êtes fumeurs, il est préférable de passer à des formes de consommation de nicotine sans combustion, par vapotage ou par substituts nicotiniques.
  • Si vous avez besoin de votre cigarette électronique ou de vos substituts nicotiniques, continuez à les prendre pour vous protéger d’une reprise du tabac.
  • Si vous n’êtes pas fumeur, alors ne commencez pas, ni la cigarette, ni les autres formes d’administration de nicotine.

Dans tous les cas, ne partagez ni vos cigarettes, ni vos vapoteuses avec vos proches, et désinfectez-vous bien les mains, surtout si vous êtes en extérieur, pour ne pas amener le virus au contact de votre visage. Si vous vapotez, pensez à désinfecter régulièrement votre matériel.

Sources :

(1) https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2002032

(2) https://www.cdc.gov/mmwr/volumes/69/wr/mm6913e2.htm#contribAff

(3) https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/04/22/coronavirus-une-proportion-reduite-de-fumeurs-parmi-les-malades_6037365_3244.html

(4) Farsalinos K., Barbouni A, Niaura R. (2020) Smoking, vaping and hospitalization for COVID-19. Qeios. Preprint V13.

(5) Communiqué de presse, publié conjointement par l'Académie des Sciences, l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et Sorbonne Université.

(6) https://www.sovape.fr/nicotine-covid-19-enquete-5000-vapoteurs/

(7) https://www.parismatch.com/Actu/Environnement/Avant-Apres-le-coronavirus-fait-chuter-la-pollution-en-Chine-1676689

(8) https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/04/29/en-reduisant-la-pollution-de-l-air-le-confinement-aurait-evite-11-000-deces-en-europe-en-un-mois_6038187_3244.html

(9) Guan WJ , Ni Zy et al. (2020) Clinical Characteristics of Coronavirus Disease 2019 in China.New England Journal of Medicine.DOI: 10.1056/NEJMoa2002032

(10) Vadavas CI, Nikitara K. (2020) COVID-19 and smoking: A systematic review of the evidence. TID (Tobacco Induced Diseases).