Le sucralose dans les e-liquides : entre principe de précaution et marketing

Ces dernières années, les mentions « sans sucre ajouté » et les gammes d’e-liquides garanties « sans sucralose » se sont multipliées. En cause, une controverse autour de la sucralose, un édulcorant suspecté de libérer des substances toxiques lorsqu’il est chauffé et d’avoir des conséquences sur la santé du vapoteur. Apprécié jusqu’ici pour son goût sucré, il est aujourd’hui persona non grata, non pas du fait des autorités de santé, mais de l’initiative des fabricants eux-mêmes. Nous avons, nous aussi, décidé de ne plus nous approvisionner en e-liquide à base de sucralose. Pour autant, l’état de la science n’explique pas tout. Son bannissement progressif est l’aboutissement d’un mode de pensée qui, sur d’autres sujets touchant la vape, s’est avéré problématique. Tour d’horizon de la sucralose, des faits scientifiques à la réaction de l’industrie de la vape.

Le sucralose : un édulcorant au grand pouvoir sucrant

Le sucralose appartient à la famille des additifs de synthèses au goût sucré. Obtenu par chloration sélective du sucrose, c’est un édulcorant, au même titre que l’aspartame ou la saccharine. Les autorités de santé européennes, qui ont autorisé son adjonction dans les produits agroalimentaires en 2004 (Directive n°2004-46), ne sont jamais revenues sur leur décision. Il est donc considéré comme sûr. Sur les emballages de nos produits, on le retrouve sous la dénomination E955. Cet édulcorant dispose d’un pouvoir sucrant très important de l’ordre de 400 à 700 fois celui du sucre blanc (1) (2) et n’a aucun arrière-goût, ce qui en fait un additif très populaire dans l’industrie alimentaire, mais aussi, jusque récemment, dans l’industrie de la vape.

L’intérêt d’en ajouter est de donner aux e-liquide un agréable goût sucré, sans qu’il soit besoin d’adjoindre du sucre. Cette flaveur sucrée est en effet très appréciée des adeptes de vape, en particulier des jeunes utilisateurs (1). La demande pour ce goût a rencontré l’offre pour cet édulcorant, bien installé dans le paysage industriel. C’est donc tout naturellement que de nombreux juice makers ont choisi cet additif pour relever les saveurs de leurs e-liquides.

Un bannissement progressif du sucralose de la composition des e-liquides

Si son ingestion ne pose pas de problème, son utilisation dans l’industrie de la vape est fortement remise en cause depuis quelques années. Pourquoi ? Parce qu’il est suspecté, lorsqu’il est chauffé à de hautes températures – comme dans un clearomiseur – de faire l’objet de réactions chimiques pouvant avoir des conséquences pour la santé (1).

Sur la base de cette suspicion, qui s’est peu à peu étendue des revues scientifiques aux médias de la vape, de nombreux fabricants ont fait le choix de retirer progressivement l’ensemble des produits de la vape à base de sucralose de leur catalogue. C’est le cas de Dinner Lady, de PGVG Labs, d’Aisu, mais aussi de la célèbre gamme Ultimate de chez Arômes & Liquides, maintenant proposée en « green edition », à côté de la gamme originale. On remarque aussi la multiplication, sur les flacons de e-liquides, d’arômes DIY et sur les sites des fabricants, l’apparition de certaines mentions comme « sans sucre ajouté ».

Des études révélant une toxicité probable du sucralose

Bien avant la polémique du sucralose dans la vape, des études s’étaient déjà intéressées à la stabilité thermique du sucralose, qui peut aussi être soumis à des températures importantes lors d’un usage alimentaire (1). Dès 2007, le professeur Owen R. Fennema indique dans son ouvrage Fennema’s Food Chemistry que le sucralose est susceptible de produire certains composés nocifs lorsqu’il est chauffé (3).

Cette suspicion a été précisée par la suite. En 2017, une étude menée par des chimistes universitaires de l’Université de Campinas a Sao Paulo conforte cette hypothèse et la précise : le sucralose est susceptible de produire du monochloropropanediol, aux environs de 120 degrés Celsius (4). En 2019, cette étude a été répliquée avec un degré de certitude encore plus important. Les chercheurs de l’Université de Portland (États-Unis) ont spécifiquement démontré que le sucralose, lorsqu’il est chauffé par le biais d’une vaporeuse, produit certaines substances résiduelles, voire certains acides susceptibles de modifier la structure de la nicotine présente dans le e-liquide (5).

Enfin, en 2020, une étude expérimentale française, menée par l’entreprise de recherche privée Ingésciences, a corroboré certains de ces résultats. Les chercheurs de cette équipe ont démontré que le sucralose était mal transmis dans la vapeur inhalée par l’utilisateur. Il aurait tendance à se dégrader, comme le suggérait l’étude de 2017, en monochloropropanediol. L’équipe de recherche en conclu que la consommation d’un e-liquide contenant du sucralose entraine « un risque toxicologique plus important que celle d’un produit qui en est exempt » (1). Les études suspectent donc une réaction de Maillard, menant à la production d’aldéhydes ou de furanes, amplifiée et complexifiée par l’utilisation de sucralose (6).

Un retrait qui n’est pourtant pas imposé en l’état de la science

Malgré ce que peuvent laisser à penser ces études, la toxicité inhérente à l’usage du sucralose dans la vape est encore entourée de mystère. La communauté scientifique reste divisée sur les effets concrets de son utilisation. Surtout, les autorités de santé ne se sont pas encore prononcées, y compris au nom du principe de précaution. Cela suggère que s’il peut entrainer une toxicité supplémentaire, celle-ci reste contenue. Dans l’attente de résultats définitifs, le bon sens commande de limiter la consommation de sucralose dans les e-liquides et, éventuellement, à se tourner vers d’autres produits faisant usage d’édulcorants alternatifs, supposés moins néfastes, comme l’Érythritol, le Xylitol, ou l’édulcorant dérivé de la Stévia (7).

Mais alors, pourquoi cet empressement des fabricants à la retirer de leur catalogue, ou du moins, à proposer de toute urgence des alternatives sans sucralose ? Une explication bien plus convaincante peut être trouvée si l’on adopte un angle marketing. D’un côté, des consommateurs soucieux de la qualité des produits qu’ils ingèrent ou vapent, et l’existence d’édulcorants alternatifs. De l’autre, un produit dont la toxicité n’est pas avérée, mais qui fait l’objet d’études peu rassurantes. Il serait donc peu judicieux de continuer à l’utiliser, et ce, indépendamment de sa toxicité réelle ! La théorie des apparences joue contre le sucralose.

En outre, pour les fabricants, cette polémique est l’occasion de renoncer complètement à l’ajout de sucre ou d’édulcorant dans les e-liquides, pour obtenir le précieux sésame d’une certification AFNOR. Cet organisme permet de distinguer les e-liquides qui répondent, en plus des normes légales, aux conditions facultatives et particulièrement strictes de cette norme de qualité. Celle-ci garantit que l’e-liquide est produit avec une base (propylène glycol et glycérine végétale) et une nicotine de qualité pharmaceutique, et qu’il est dénué de colorants et d'édulcorants (8).

Conclusion

Dans le domaine des produits de la vape, faire abstraction des conséquences concrètes d’une interdiction peut avoir des conséquences dramatiques. Les argumentaires visant à culpabiliser les femmes enceintes fumeuses de vapoter durant leur grossesse alors qu’il s’agit pourtant d’un moindre mal, ou les rapports de l’OMS qui dissuadent les fumeurs de faire la transition vers la vape, en arguant de sa toxicité supposée, sont contre-productifs. Pour autant, en l’espèce, le bilan coût-avantage ne paraît pas en faveur de la sucralose. Il ne serait pas raisonnable de continuer à l’utiliser pour l’avenir, alors qu’il existe des alternatives. C’est pourquoi, chez IClope, nous adoptons une position que nous estimons raisonnable : ne plus nous réapprovisionner en produits contenant de la sucralose, mais continuer à en proposer à la vente, jusqu’à épuisement des stocks.

(1) Ingescience.fr - Problématiques toxicologiques liées à l'utilisation du sucralose

(2) Journal du Vapoteur - Qu'est ce que le sucralose ?

(3) Academia.eu - Fennemas Food Chemistry 4th edition

(4) researchgate.net - Utilizacao e associacao de alguns edulcorantes artificias e sua influencia na aceitabilidade de alimentos - UMA revisao

(5) https://pdxscholar.library.pdx.edu/chem_fac/279/

(6) Vapingpost.fr - Quels sont les e-liquides les moins dangereux ?

(7) Vap-actus.fr - vaper des e-liquides contenant des additifs tels que le sucre ou les édulcorants comporte-t-il des risques potentiels pour notre sante ?

(8) Afnor.org - Certification e-liquides